« ET SI L’ANTICIPATION AVAIT ÉTÉ LA MEILLEURE DÉFENSE ? » 

Le 17 juillet dernier, la Fondation Abbé Pierre, Emmaüs France et Emmaüs International ont rendu public des témoignages de plusieurs femmes faisant état de comportements pouvant être qualifiés d’agression ou de harcèlement sexuel commis par l’abbé Pierre entre la fin des années 1950 et le début des années 2000. Les faits étaient connus depuis longtemps, mais une chappe de plomb les avait jusqu’alors gardés secrets. Conscients de la déflagration médiatique qui en découlerait si ces révélations venaient à être dévoilées par un tiers, dans un contexte social #metoo inflammable, les dirigeants de la Fondation Abbé Pierre, Emmaüs France et Emmaüs International ont pris une décision courageuse et calculée : allumer eux-mêmes la mèche et en maitriser les conséquences plutôt que d’avoir à subir les révélations pouvant être faites par d’autres…

Etape 1 : le temps contrôlé de la révélation et de la sidération

Le 17 juillet, les trois organisations rendent publics les faits graves commis par l’abbé Pierre durant plus de 5 décennies. Ces révélations se basent sur une enquête qu’ils ont eux-mêmes diligentée avec l’aide d’un cabinet spécialisé et d’un travail d’écoute approfondi des personnes concernées. Cette prise de parole pro-active va leur permettre de maitriser la forme, le fond, les EDL, et de contrôler au mieux les interventions médiatiques qui vont s’en suivre. Un message fort sera sans cesse rabâché « nous croyons ce que disent les femmes concernées » permet d’évacuer immédiatement les polémiques sur la réalité ou non des faits tout en rappelant le travail réalisé depuis plus de 70 ans auprès des plus pauvres, des personnes démunies… Les plateaux TV, interviews radios et presse écrite vont s’enchainer. Deux à trois porte-parole se relaient avec beaucoup d’humilité, de compassion envers les victimes pour expliquer les faits, comment l’enquête a été menée en interne, expliquer son déroulé et les conclusions auxquelles elle a abouti sans occulter avec beaucoup de lucidité les conséquences d’une telle décision. Une communication maitrisée, ciblée, anticipée… Être dans l’action plutôt que dans la réaction, être à l’offensive plutôt que de subir les attaques, maitriser le discours de A à Z, prendre la parole plutôt que la laisser à d’autres… a permis d’amortir, de contrôler le choc et les conséquences de cette révélation qui a fait tomber l’abbé Pierre de son piédestal.

Etape 2 : après le temps de l’émotion, celui-des actes

Très vite, les 3 organisations reprennent la parole en passant du territoire de l’émotion à celui du terrain. Plusieurs annonces sont faites dont la principale est le changement de nom de la Fondation Abbé Pierre sans que le nouveau nom soit révélé, ce qui a pu paraitre étrange… Les effigies de l’abbé Pierre, ses photos sont également retirées, le logo de la fondation modifié… Autant d’actes permettant d’illustrer la volonté des dirigeants de la Fondation Abbé Pierre, Emmaüs France et Emmaüs International d’être toujours dans l’action tout en continuant d’occuper le terrain médiatique avec des actions concrètes. A cela, s’ajoutent des initiatives prises un peu partout en France par des municipalités, des collectivités locales qui décident de débaptiser des rues, des places portant le nom de l’abbé Pierre, d’effacer de fresques son portrait comme à Lyon… qui alimentent les médias et qui ne mettent plus la Fondation Abbé Pierre au premier plan médiatique.

Etape 3 : la communication se déporte… aidée par l’actualité

Après le temps de la révélation, vient celui des interrogations… Qui savait ? Depuis combien de temps ? Qu’est-ce qui a été fait ? Qui l’a protégé ? La Fondation Abbé Pierre a fait son travail d’investigation, l’a rendu public, pris des mesures tout en faisant acte de contrition. Les questions posées par les médias et la société civile obligent l’Église à prendre la parole et ce jusqu’au plus haut niveau. Le pape a en effet admis que Rome était au courant des accusations d’agressions sexuelles visant le fondateur d’Emmaüs, « au moins depuis la mort de ce dernier ». De son côté, l’Église de France a décidé d’ouvrir prématurément les archives de l’épiscopat concernant le fondateur d’Emmaüs sans respecter le délai de communicabilité de 30 ans… D’autres parties-prenantes s’expriment et la Fondation Abbé Pierre disparait peu à peu des radars médiatiques, aidée par l’actualité politique française mais également par la médiatisation du procès Pélicot qui a débuté le 2 septembre dernier.

Etape 4 :  le temps de la reconstruction commence

Les révélations faites par la Fondation Abbé Pierre, Emmaüs France et Emmaüs International auront des conséquences très importantes tant d’un point de vue humain que financier. Le scandale de l’ARC en 1991, celui plus récent de la fondation Nicolas Hulot en 2022, rebaptisée depuis Fondation pour la nature et l’homme, ont impacté durablement les récoltes de fonds qui se sont effondrées… Il en sera de même sans doute pour les 3 organisations concernées par l’affaire abbé Pierre. La révélation du nouveau nom de l’ex-Fondation Abbé Pierre pourrait être la prochaine et première étape de la construction d’une nouvelle image et le départ d’une nouvelle aventure humaine.

Une question : cette crise ne touchera-t-elle que la Fondation Abbé Pierre et Emmaüs ou aura-t-elle des répercussions sur l’ensemble du secteur associatif, voire même sur l’Église catholique ?