On en parlait déjà bien avant le début de l’épidémie de la Covid-19. Beaucoup critiquaient déjà le traitement dégradé de l’information en général et particulièrement sur les chaînes de télévision en continu. Le confinement est passé par là et la Covid-19 a rempli et saturé l’espace médiatique. On aurait pu espérer que la fin du confinement allait procurer aux médias un peu d’air frais… Ce fut le cas l’espace de quelques semaines. Depuis début septembre, nous sommes quotidiennement assommés de chiffres et encore de chiffres : nombre de cas dépistés, nombre de personnes rentrées en réanimation, nombre de décès, nombre de clusters, nombre de départements en zone rouge, nombre de faillites prévues… sans parler des points presse ministériels à répétition, des communiqués de presse quotidiens du Gouvernement… C’est une avalanche, un flot ininterrompu… Et de fait incompréhensible, illisible, inaudible…
Plaute disait « les faits parlent d’eux-mêmes ». Certes, mais un peu d’explication, d’analyse, de mise en perspective serait le bienvenu. Cela fait cruellement défaut aujourd’hui en cette période très déstabilisante pour beaucoup. Les Français n’en peuvent plus de tous ces chiffres, ces injonctions, ces interdictions…
Le doute, la crainte, l’angoisse s’installent, et la défiance envers les politiques et les médias aussi. Qui croire, que retenir au jour le jour, comment analyser tout cela ? L’exercice est difficile, mais pas insurmontable. Les journalistes (ou médias ?) ont un rôle essentiel à jouer et je dirai même une responsabilité morale. Ils ne peuvent se contenter uniquement de balancer des chiffres au fil de l’eau sans les interpréter, les mettre en perspective un minimum. Leur rôle ne peut se limiter à celui de « passe-plat médiatique ». Leur mission est d’informer, d’expliquer, de donner les moyens aux téléspectateurs, aux lecteurs, aux auditeurs de comprendre et de se faire leur propre opinion. Je considère que beaucoup d’entre eux ne le font pas actuellement alors que c’est primordial !
Le 16 avril dernier, 753 personnes sont décédées en France de la Covid-19 en une seule journée, le 18 septembre, ils étaient 123… « Un record depuis la fin du déconfinement ». Aujourd’hui, plus de 1 600 Français sont également décédés de cancers, d’AVC, d’accidents de la route ou de vieillesse… Qui le dit ? Le nombre de cas augmente ? Oui, mais on dépiste de plus en plus de personnes. C’est pourtant simple, plus on cherche plus on trouve, sans parler du fait que 93% des personnes testées sont asymptomatiques et ne développeront pas de formes graves de la maladie… Une relative bonne nouvelle si l’on peut dire. Oui… mais on ne le dit pas ! En mars, on annonçait 300 000 décès en France à venir ; aujourd’hui, nous en sommes à un peu moins de 32 000. C’est 32 000 de trop mais le décalage est énorme… Trop rares sont les médias qui le rappellent. Ce discours alarmiste à longueur de journée est source d’angoisse et d’incompréhension.
Loin de moi de vouloir nier la réalité de l’épidémie de la Covid-19 et de dire que tout va bien dans le meilleur des mondes… Elle est présente et sans doute encore pour de très longs mois. Mais où est passé ce devoir d’information et d’explication des médias ? Pourquoi sans cesse véhiculer des informations alarmistes de façon péremptoire ? Les journalistes auraient-ils perdu tout sens d’analyse ? Leur rôle ne peut se résumer à celui d’une courroie de transmission. Si cela est le cas, c’est très dangereux pour notre pays et notre démocratie. La bataille contre la Covid-19 se livre à la fois dans les laboratoires, sur le terrain, mais doit également se gagner dans la tête des personnes. Ils sont l’un des maillons essentiels dans ce combat, mais aujourd’hui un maillon faible ! J’entends ici et là, au cours de dîners, en discutant avec des clients, émerger un sentiment de défiance généralisée envers le Gouvernement, les pouvoirs publics et les médias : « on nous cache des choses, on entretient l’angoisse et la peur, on ne nous dit pas tout et les médias sont complices… ». Les personnes qui tiennent ce genre de discours sont des CSP+ en général, et un accès facilité à l’information, en capacité d’analyser les faits… Un fossé se creuse irrémédiablement. La dernière étude publiée par Viavoice pour les Assises du Journalisme est intéressante à plusieurs points : environ 60% des personnes interrogées estiment que les médias ont accordé une place trop importante à l’épidémie, contre 10% d’avis contraires et 25% qui trouvent qu’elle a été « équilibrée ». Pour évaluer le traitement global de la crise sanitaire dans les médias, 50% ont répondu qu’elle était « anxiogène », à 45% « excessive » et à 28% « catastrophiste ».
Les journalistes n’auraient-ils plus le temps d’enquêter, de se poser ? Le fil d’actualité à alimenter en permanence a-t-il tué le temps de la réflexion et de l’analyse ? Sont-ils trop peu nombreux désormais dans les rédactions ? La dimension économique a-t-elle pris le pas sur celle d’informer ? Est-ce une question de courage ? Je n’ai pas de réponse précise, mais c’est, à mon avis, un mixte de tout cela… Le plus ancien quotidien français affiche en Une depuis près de 200 ans une célèbre citation de Beaumarchais « Sans liberté de blâmer, il n’est pas d’éloge flatteur ». À l’heure actuelle, on pourrait la détourner ainsi : « sans liberté d’analyser et d’expliquer, il n’est pas de media qui vaille ». Malgré tout, je reste persuadé que le métier de journaliste est l’un des plus beaux du monde et qu’ils sont des rouages essentiels à nos démocraties. Mais aujourd’hui je ne suis plus d’accord avec la façon dont ils traitent quotidiennement le sujet de la Covid-19. Donc acte et le débat est ouvert !
*Chiffres Santé Publique France
**Etude Viavoice pour les 13ème Assisses du Journalisme / 1er et 2 Octobre 2020 à Tours
Jean-Philippe LECOCQ
Directeur Associé