Muriel Jaouën est journaliste indépendante pour la presse éco-social (Liaisons Sociales Magazine, Le Parisien Eco, Les Echos…) et auteure de plusieurs ouvrages sur le monde de l’entreprise.
En quoi la crise du Covid-19 a t-elle changé votre travail ou votre manière de travailler ?
Sans hésitation, dans l’impossibilité de réaliser des interviews en présence “physique”. J’ai la chance de travailler sur des sujets d’analyse et sur des enquêtes, dont je choisis les sujets pour l’essentiel. Je suis donc une adepte des entretiens si possible un peu substantiels et sans limite de temps. Le téléphone, c’est ultra pratique, mais ça ne se prête pas à tous les types d’échange.
Avez-vous remarqué des choses nouvelles ou différentes dans la communication des marques, des entreprises ?
Deux trois choses (mais je ne suis absolument pas experte en matière de communication des entreprises). Côté relation médias, il est évident que le flux des messages a sérieusement diminué d’intensité durant ces deux mois de confinement. Beaucoup moins de mails, beaucoup moins d’appels. On aussi assisté à l’explosion des webinars. Enfin, on a entendu pas mal de patrons d’entreprise et de communicants s’exprimer sur “le monde d’après”. Et je ne pense pas qu’il faille les moquer.
Après tout, il n’est pas interdit de réfléchir et de porter le fruit de ses réflexions à la connaissance publique. Au passage, il s’est dit des choses très intéressantes dans les tribunes, sur les réseaux sociaux, notamment dans l’affichage par les entreprises et leurs organisations diverses d’une volonté d’engager une réflexion collective, de lancer des pistes d’action inter-entreprises, de dépasser les freins du jeu concurrentiel pour essayer de servir un intérêt général. Personnellement, je n’avais jamais entendu cela auparavant dans l’expression publique du monde de l’entreprise.
Quel est l’impact de cette crise sur les médias ? Devront-ils eux aussi se réinventer ?
Se réinventer, peut-être, pourquoi pas. Je me méfie tout de même de ce type de formule quand elle est utilisée tous azimuts et appliquée universellement à tout et à tout me monde. On peut faire pas mal de procès aux médias (au passage, il faudrait définir ce que l’on entend par “Les” médias), il est sain et légitime de les critiquer dans leurs travers et leurs dérives, et on sait qu’ils n’en manquent pas ! Mais ils ne sont quand même pas une institution archaïque et rigide, calcifiée sur ses acquis. J’ai même l’impression qu’ils se sont pas mal “réinventés” ces dernières années, alors qu’ils ont subi de plein fouet une déferlante numérique et toutes ses conséquences qui auraient pu les mettre à terre. Là où les entreprises de presse – pour éviter ce terme valise de “médias” – devront sans doute revoir leur codes, c’est dans leur fonction sociale d’“entreprise”.
La presse (écrite et audiovisuelle) est un secteur à faible culture managériale et à fort taux de précarité. Peut-être cette crise, par son ampleur et sa dimension très déflagratrice sur le plan social, encouragera-t-elle la profession à réfléchir à de nouvelles formes contractuelles, garantissant un peu plus de sécurité aux personnels les plus fragilisés. Après, sur les aspects plus “métier”, cette crise peut nous interroger sur l’articulation et la gestion des frontières entre un journalisme professionnel et une appropriation chaotique de la parole, du commentaire et du jugement par tout et par tous. Cette question, dont les enjeux dépassent de loin la seule profession des journalistes, était déjà très latente. La crise la repose de manière criante.
Qu’est-ce qui vous a le plus manqué pendant le confinement ?
Sans hésitation, je renvoie à votre première question. Ce qui est moche, c’est que la « distance » dans les interviews va durer encore quelque temps…
Pour le reste, je travaille en freelance, c’est un choix viscéral, je n’ai donc pas souffert d’être privée de l’atmosphère des rédactions, dont je sais et comprends qu’elle est si précieuse à nombre de mes confrères.